Retour

1704, Vélez Malaga. Quand la bataille se déroule

Durant les 54 années de son règne personnel, Louis XIV a mené cinq guerres dont la dernière, la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) a occupé les dix dernières années. Si les batailles de ces conflits eurent lieu majoritairement sur terre, la bataille de Vélez-Malàga, en 1704, opposa l’une des plus grandes concentrations de bateaux, issus de quatre flottes, de toute l’époque moderne. 

A la fois riche d’enseignements sur la guerre sur mer à l’époque classique et tournant stratégique et géopolitique, la bataille de Vélez-Malàga a contribué à redessiner la carte de l’Europe. Un document exceptionnel en témoigne : le rouleau de l’ordre de la bataille, acquis en 2016 par la bibliothèque du Service historique de la Défense au terme d’une campagne de mécénat participatif.

C’est à la découverte de cette bataille méconnue et pourtant déterminante, de ses conséquences et de sa postérité que nous invite ce document manuscrit exceptionnel. Le temps d’une exposition, devenez canonnier du Roi-Soleil…

Découvrir

La guerre de Succession d’Espagne

FER N.de, Cartes et descriptions generales et particulieres pour l’intelligence des affaires du tems, au sujet de la succession de la couronne d’Espagne, en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique, Paris, chez l’auteur, 1701. SHD/DBIB/A2c 375

Le 1er novembre 1700 s’éteint Charles II d’Espagne, qui ne laisse aucun héritier au trône de l’une des principales puissances d’Europe, qui suscite autant la convoitise que la crainte de la voir passer sous l’autorité d’une puissance rivale dans chaque cour européenne.

Les Bourbons, en France, comme les Habsbourg, en Autriche, peuvent légitimement nourrir des prétentions au trône d’Espagne. Malgré un testament de Charles II qui tentait de répartir équitablement les territoires entre les trois descendants potentiels, le décès de l'un d'eux, le duc Joseph-Ferdinand de Bavière, remet le partage en question.  Charles d’Autriche exigea l’intégralité de l’héritage, rêvant de reconstituer l’empire de Charles Quint. Charles II, bien que malade et diminué, s’opposa à cette idée afin d’éviter l’éclatement de l’empire espagnol. Il soutint alors Philippe duc d'Anjou, fils de Louis de France et de Marie-Anne de Bavière, qui monta sur le trône d'Espagne sous le nom de Felipe V de Borbón.

Une coalition réunissant l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’Autriche et le royaume de Prusse déclara alors la guerre à la France et à l’Espagne le 15 mai 1702. Charles de Habsbourg, fils de l'empereur d'Autriche et deuxième prétendant au trône d'Espagne fut reconnu roi d’Espagne par les coalisés et arriva à Lisbonne en mars 1704 pour chasser de Madrid Philippe V.

Navires et guerre sur mer sous le règne de Louis XIV

Dessins représentant toutes les phases de la construction d’un vaisseau, depuis sa mise en chantier jusqu’à son lancement et son arrimage dit Album Colbert, 50 planches manuscrites, [s.l.], [s.n.], XVIIe siècle. SHD/DBIB/SH 140

Secrétaire d’Etat à la Marine de 1683 à 1690, Jean-Baptiste Colbert (1651-1690) poursuivit la politique initiée par son père, le grand Colbert, et prôna un renouvellement des constructions navales. Cette politique de modernisation maritime aboutira à l’édification d’une puissante flotte de près de 200 bateaux, capable de rivaliser avec les deux grandes marines, anglaise et hollandaise, de l’époque.

Navires et guerre sur mer sous le règne de Louis XIV

L’émergence d’une artillerie lourde conduisit, au XVIIe siècle, à une nouvelle conception architecturale des navires et modifia la tactique navale. En effet, l’installation latérale des canons en bronze imposa le combat en ligne de file. Cette disposition permettait de concentrer les tirs dans une direction donnée, sans risquer d’atteindre un vaisseau ami. Théorisé par un jésuite, le Père Hoste dans son Art des Armées navales ou traité des évolutions, qui contient des règles utiles aux officiers généraux, et particulières d'une armée navale (1697), ce duel d’artillerie obéissait à un protocole précis.

Face à face, les flottes ennemies formaient deux lignes parallèles avec des bâtiments se suivant à distance régulière de 150 à 300 mètres. Les navires étaient alors regroupés en trois corps ou escadres. Elles évoluaient grâce aux ordres transmis par des signaux hissés dans la mâture. L’essentiel du combat se résumait alors à une violente canonnade. On cherchait « à démâter » l’adversaire en projetant sur les mâtures des boulets ramés, ou à décimer son équipage en optant pour un tir « de plein bois » visant la coque du navire adverse. Le XVIIe siècle marque également le début de l’utilisation des mortiers, lorsque fut mis au point la galiote à bombes, un navire suffisamment stable pour lancer des engins explosifs suivant une trajectoire courbe.

HOSTE Paul (S. J.), Traité des évolutions navales, composé sur les mémoires de Monsieur le comte de Tourville, vice-amiral de France, [s.l.], [s.n.], manuscrit, 1691. SHD/DBIB/ SH 115

Le Comte de Toulouse

En 1678 naît à Versailles Louis-Alexandre, dernier fils de Louis XIV et de Madame de Montespan. Légitimé par son père, il reçoit le titre de comte de Toulouse en 1681. Elevé par sa mère alors en disgrâce suite à l’affaire des poisons, le jeune comte est nommé amiral de France par le roi à l’âge de… cinq ans. Le comte de Toulouse a 26 ans lorsqu’il prend le commandement de la flotte franco-espagnole dans le cadre de la Guerre d’Espagne. Embarqué à bord du Foudroyant, il peut compter sur le soutien du vice-amiral Victor d’Estrées pour l’aider à commander sa nombreuse flotte.

Créée au XIIIe siècle, la charge d’amiral de France est l’une des plus hautes du royaume : l’officier concerné est chef de la flotte royale.

Provisions d’amiral de France pour Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1683), dans Protocole des provisions, commissions et brevets qui s’expédient aux officiers de marine et des galères, tant de guerre que de plume, [s.l.], [s.n.], 1669-1777.

Le déroulement de la bataille

Le comte de Toulouse quitta le port de Brest le 14 mai 1704 à la tête de 26 vaisseaux du Ponant (Dunkerque, Lorient et Rochefort), quatre frégates et six brûlots. Après être parvenu à éviter la flotte ennemie, il traversa le détroit de Gibraltar et arriva à Toulon le 11 juin.

Le 12 août, la flotte arriva à Barcelone, où le comte de Toulouse apprit la prise de Gibraltar, le 4 août précédent. En s’emparant du rocher, les Anglais s‘assuraient une position stratégique en Méditerranée, coupant ainsi l’accès des navires français à l’Atlantique.

La flotte française fit donc immédiatement voile vers le Détroit. Au cours d’une escale en rade de Vélez-Màlaga, le comte de Toulouse fut avisé de l’approche de l’ennemi, le 21 août.

A 8 heures du matin, les deux flottes se font face sur une longueur de 2 km. Les tentatives d’abordage se multiplient, sans succès, tandis que pleuvent sur toute la ligne une multitude de bombes. Peu à peu les tirs s’apaisent, à l’avant-garde puis au centre, tandis qu’à l’arrière-garde, le combat se poursuit jusqu’au soir. Le lendemain, le combat ne reprend pas mais la victoire refusa de choisir son camp.

Ozanne, Nicolas, Première et deuxième positions du combat de Malaga, [s.l.], [s.n.], 1797. SHD/DBIB/ATR 243

Le rouleau

Le rouleau de l’ordre de bataille de Vélez-Màlaga se présente sous la forme d’un long panorama de 5,87 m sur 0,70 cm de hauteur. Pour obtenir un tel résultat, plusieurs feuilles de papier ont été collées sur de la toile, laquelle présente des anneaux de tissus régulièrement espacés qui témoignent d’une présentation suspendue de l’œuvre.

Sur celle-ci sont présentés les quelque 194 bâtiments qui ont pris part à la bataille. Chacun d’entre-eux est minutieusement reproduit à la gouache ; en outre, le nom de chaque bateau est inscrit en-dessous de sa reproduction, ainsi que le nom du commandant et l’armement en hommes et en canons. Cette représentation très précise atteste des connaissances techniques et du talent de Jérôme Hélyot,  dont le nom apparaît dans un cartouche central, en-dessous d’une rose des vents. Au centre de la partie supérieure, les armes du comte de Toulouse (d’azur à trois fleurs de lis d’or et brisées de gueules) portent les insignes de la charge d’amiral de France et partagent la légende du document. Enfin, celui-ci porte sur sa partie droite « l’explication de la manière qu’étoient distribuées les armées navalles », rendant plus intelligible une représentation qui, sans cela, resterait une représentation statique. Faut-il voir dans le soin apporté à l’œuvre un présent à son dédicataire, qui commanda lors de la bataille ? Le soin de la représentation et le texte explicatif laissent à penser à un usage moins prestigieux mais plus novateur : Jérôme Hélyot, qui se consacra à cette œuvre pendant plusieurs années, semble avoir pu l’envisager comme un outil pour l’instruction des artilleurs de Marine. Certainement réalisée entre 1712 et 1721, son œuvre témoigne du souci de faire œuvre de pédagogie par le respect de l’échelle et du déploiement des escadres, selon l’ordre de chaque bâtiment, et au regard de la direction du vent.

HELYOT Jérôme, Ordre de bataille que tenoient les armées navalles de France, d’Angleterre et de Hollande dans la Médtiterranée en l’année M.D.C.C.I.V, quand Monseigneur le comte de Toulouse remporta la victoire sur les Anglais et Hollandais et les obligea

La bataille de Vélez-Màlaga : un coup d’épée dans l’eau ?

La guerre de Succession d’Espagne ne connut pas d’autres affrontements sur mer. Les coalisés parvinrent, après un débarquement de troupes à Barcelone, à rallier la Catalogne. La situation de Philippe V s’aggrava encore avec les défaites françaises de Ramillies et de Turin, en mai et septembre 1706, puis avec la prise de Lille par les coalisés, en octobre 1708.

Le duc de Villars, maréchal de France, porta un premier coup d’arrêt à la progression des troupes commandées par le duc de Marlborough et le prince Eugène de Savoie lors des batailles de Malplaquet (Pays-Bas espagnols), le 11 septembre 1709. Le 24 juillet 1712, c’est à Denain que le maréchal de Villars s’illustra de nouveau. Ces retournements permirent à la France de chercher une issue diplomatique à la guerre. Les parties, épuisées après plus de 10 ans de guerre, conclurent les traités d’Utrecht, en 1713, et de Rastatt, en 1714, par lesquels Philippe v conservait le trône d’Espagne, mais renonçait à ses droits sur celui de France, tandis que  l’Angleterre conservait Gibraltar : de nouveaux rapports de puissance  redessinaient la carte géopolitique du continent.

Médaille commémorative frappée au portrait du comte de Toulouse, [s.n.], [s.l.], [1732] (image libre de droits)

La bataille de Vélez-Màlaga : un coup d’épée dans l’eau ?

Le rôle nouveau des mortiers comme la fin de l’emploi des galères firent de la dernière bataille d’escadres du règne du Roi-Soleil un tournant dans la pratique de la guerre sur mer. Pourtant, alors que la bataille de Vélez-Màlaga fut l’un des plus grands affrontements livrés par la Marine française, elle ne passa guère à la postérité. Le comte de Toulouse fut récompensé du collier de la Toison d’or par son oncle Philippe V, mais ne commanda plus à la mer.

Chef du conseil de la Marine de 1715 à 1722, il mourut en 1737, retiré dans son château de Rambouillet. L’amiral Rooke, insatisfait du combat qu’il avait mené, se retira avant la fin de la guerre, dès 1705, et mourut sans en voir l’issue, en 1709.

Ricous, Dessin montrant l’avantage que donne à une flotte des galiottes [sic] à bombes, manuscrit, 1694. SHD/DBIB/MS 142-14

Commissariat d’exposition :

ASP Constance de Courrèges d’Agnos, Jean-François Dubos, Sylvie Legrosse, département de la bibliothèque du SHD

 

Remerciements :

  • Archives nationales
  • Délégation au patrimoine de la Marine nationale
  • Musée national de la Marine
  • Musée de la Légion d’Honneur

Accéder au catalogue de l'exposition (pdf)