Inventaire
2e bureau de l'état-major de l'armée
Dates
1899-1943Présentation du contenu
Au-delà du renseignement militaire stricto sensu, le fonds se compose également d'informations sur la situation politique, diplomatique et économique et sur l'opinion publique d'un certain nombre de pays d'Europe et du monde. La grande diversité des informations recueillies permet donc de dresser le bilan militaire, politique, diplomatique et économique de nombreux pays étrangers, dont la France, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale et durant les premières années du conflit. Les renseignements sur l'Allemagne et dans une moindre mesure sur l'Espagne et le Portugal sont sur-représentés par rapport à ceux récoltés sur les autres pays.
L'ensemble des renseignements récoltés reflète également les inquiétudes politiques de la fin des années 1930 et du début des années 1940 : les menaces fascistes, soviétiques et nazies atteignent leur apogée, tandis que la surveillance des ressortissants étrangers et le contre-espionnage français connaissent un nouvel essor. Davantage que les activités de renseignements ciblées, ce sont les synthèses reçues des attachés militaires, les bulletins émis par différents services d'informations et de documentation ou de nombreux commandements militaires en métropole ou en dehors, et la documentation technique qui composent l'essentiel du fonds. Par la nature très variée des pièces présentes dans ces dossiers (notes en tous genres, comptes rendus, rapports, bulletins, revues d'articles de presse, documents iconographiques…), il est possible d'approcher plus en détails la nature et la diversité des renseignements recueillis par le 2e bureau, à sa demande ou à l'initiative des attachés militaires ou autres centres de commandements militaires français. Des plans de renseignements et questionnaires émis par le 2e bureau témoignent d'une volonté de structurer la recherche de renseignements effectuée par les différentes sections.
Une part non négligeable du fonds se consacre à l'organisation interne du 2e bureau et notamment à l'organisation de ses archives. Les archives de campagne des 2e bureaux et leur courrier sont soumis à une importante normalisation, par mesure de respect du secret mais également à des fins d'harmonisation. Par ailleurs, le fonds s'avère révélateur des méthodes de recherche du renseignement : un réseau très centralisé mais aux nombreuses ramifications, mettant en relation des organismes très divers et particulièrement nombreux. Un certain nombre de documents permettent d'envisager le travail du 2e bureau au sein de l'EMA et du ministère de la Guerre du gouvernement de Vichy. De nombreux ensembles de documents liés à du personnel (postes de transmission, services d'attachés militaires...) permettent d'appréhender le profil varié des agents du 2e bureau, ainsi que celui des représentants français à l'étranger et étrangers en France. A l'intérieur des dossiers, les documents allemands (inventaires et bordereaux) et soviétiques (bordereaux d'analyse et fiches de consultation) attestent de la circulation et de l'exploitation ultérieure de ces documents français capturés.
Selon Claude d'Abzac-Epezy, les responsables du renseignement sous Vichy (au premier plan Paul Paillole) puis l'Association des anciens des services spéciaux de la défense nationale (AASSDN) ont longtemps minimisé l'importance des saisies allemandes. Ce fonds serait selon elle susceptible de venir compléter les éléments tirés des témoignages d'anciens acteurs du renseignement français et pourrait interroger la construction de l'histoire du renseignement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les dossiers témoignent de la reconstitution immédiate après l'armistice d'organismes clandestins et camouflés de renseignements et de contre-espionnage, prouvant une résistance face à l'occupant allemand. Les dossiers prouvent également la diversité des sujets de renseignements : l'ennemi nazi et les collaborationnistes côtoient les communistes, les gaullistes et les étrangers. Par ailleurs, de nombreux dossiers prouvent une étroite collaboration entre les autorités françaises et les autorités d'occupation (allemandes et italiennes), notamment par le biais des commissions d'armistice. Deux dossiers (3011 et 5030) contiennent des documents notables témoignant de la connaissance précoce par l'État français, dès octobre 1940, des crimes et du génocide perpétrés par les nazis : extermination systématique par l'emploi d'un « gaz bleu » des vieillards et des handicapés mentaux en Allemagne et des élites polonaises, exécutions de masse de populations civiles juives en Europe de l'Est… En définitive, ce fonds pourrait s'avérer un levier de compréhension supplémentaire du système mémoriel lié à l'action des autorités militaires et gouvernementales françaises durant la Seconde Guerre mondiale.
En pleine débâcle française, les archives secrètes du GQG sont découvertes par hasard et récupérées le 19 juin 1940 par les troupes allemandes dans un train à la Charité-sur-Loire. Les services spéciaux français parviennent cependant à préserver leurs archives en transférant leurs propres papiers en zone sud. La garde des archives du 2e bureau et de ses services rattachés revient aux TR dirigés par Paillole : après de nombreuses pérégrinations sur tout le territoire français, qui auraient dû aboutir à leur transfert en Afrique du nord, elles sont finalement entreposées dans la villa Éole à Marseille. Au gré des déplacements du fonds pendant la débâcle française, un des archivistes désignés, le capitaine Garnier, procède déjà à des éliminations. Les archives des BMA intègrent à leur tour le fonds dans le but de « centraliser voire même contrôler les affaires d'atteintes à la sûreté extérieure de l'État soumises par la police aux tribunaux militaires ». Au total, sept archivistes sont mobilisés pour conserver ces archives et communiquer à l'EMA et à d'autres services les renseignements qu'elles contiennent.
L'installation des Allemands en zone sud entraîne la dispersion du personnel de Marseille. Deux agents restent néanmoins affectés à la garde des archives camouflées au château de Lédenon près de Nîmes, mais le 20 juin 1943, un commando de la Gestapo y saisit la majeure partie du fonds sous la garde des TR. Auparavant, le 8 janvier 1943 à Vichy, les archives de la section des affaires musulmanes avaient déjà été partiellement raflées, et en février 1943, les locaux de « Technica » à Lyon et ses archives faisaient également l'objet d'une saisie allemande.
Les 20 tonnes d'archives saisies à Lédenon sont transférées dans un camp SS au nord de Prague, où les services de renseignements allemands entament leur exploitation. Au fur et à mesure de son avancée vers l'ouest durant l'été 1945, l'Armée rouge saisit à son tour ces documents. En URSS, un service dédié est créé pour les accueillir : les Archives spéciales centrales d'État. Ces archives, dont la destinée est inconnue des autorités françaises, sont déclarées perdues ou détruites. Ce n'est qu'en 1991 que l'on retrouve leur trace : l'historienne américaine Patricia Grimsted révèle la présence d'une importante quantité d'archives du ministère de la Guerre français conservées à Moscou.
Un accord passé en novembre 1992 permet dès décembre 1993 le rapatriement d'un premier lot de 7000 mètres linéaires, principalement issu des archives saisies à Lédenon. Ce processus est bloqué par des nationalistes de la Douma accusant Boris Eltsine de brader le patrimoine russe. Les restitutions reprennent en décembre 1999 et s'achèvent en mai 2000. Deux lots successifs sont donc rentrés en France. Les dossiers interarmées du premier, appelé 7NN SR/SCR ou « Moscou I », sont intégrés aux fonds du Service historique de l'armée de terre, où ils font rapidement l'objet d'un classement et d'un inventaire. Le deuxième fonds, « Moscou II », comprend 626 dossiers provenant du 2e bureau de l'EMA sous Vichy : il s'agit du fonds traité en partie dans cet inventaire.
Dernière modification le 24/11/2020