Le "Projet YF"
Service historique de la Défense, avenue de Paris, 94306 Vincennes
Lundi 16 mars 2020. Le Président de la République annonce en direct à la télévision le confinement de la population dès le lendemain. Au Service historique de la Défense, ce sont des dizaines d'agents qui vont devoir rester chez eux, avec pour certains l'impossibilité d'adapter leurs missions quotidiennes au télétravail.
Afin de permettre à ceux qui le souhaitent de continuer à travailler à distance, il faut pouvoir proposer un travail utile, faisable par tous, à grande échelle. Les inventaires de la sous-série GR YF, qui rassemble les dossiers de pensions depuis l'Ancien Régime, semblent taillés pour ce défi.
Cette sous-série est très consultée par les chercheurs, en particulier par les généalogistes, car elle rassemble des dossiers individuels de personnels ayant effectué une demande de pension auprès du ministère, auxquels parfois le dossier de carrière a été intégré pour ne former qu'un seul dossier par individu.
L'inventaire actuel est constitué de grands registres manuscrits par période et par ordre alphabétique, consultables uniquement sur place, difficiles à manipuler et parfois difficiles à lire. Pour aider les archivistes à orienter les chercheurs, chaque double-page de registre a été numérisée, mais si les fichiers images, disponibles sur le réseau interne, avaient le mérite d'exister, il était jusqu’ici nécessaire de les feuilleter patiemment image après image pour retrouver l'individu recherché.
Un travail titanesque commence alors. Un index des abréviations est rédigé, ainsi que des consignes de saisie. Les fichiers images sont répartis entre les agents volontaires de Vincennes et de Caen (division des archives des victimes des conflits contemporains). C'est d'abord un, puis deux, puis dix, puis près d'une quarantaine d'agents, archivistes, magasiniers ou secrétaires, qui demandent à participer au projet, chacun à hauteur de son temps de travail disponible, avec parfois seulement un vieux PC ou en en empruntant un à un voisin pour pouvoir contribuer.
Les premières séries traitées, les moins volumineuses pour servir de galop d'essai, concernent les troupes coloniales. Avec un peu d'imagination, c'est l'occasion d'oublier pour quelques heures le confinement en étant transporté au fil des pages dans des paysages lointains, aux côtés des régiments sénégalais, tonkinois, amanites ou malgaches.
Ces listes ont été patiemment rédigées de façon manuscrite par des officiers tellement habitués à leur environnement professionnel qu'ils usaient et abusaient de sigles et abréviations en tout genre, dont la signification nous semble parfois un peu obscure aujourd'hui. Les questions fusent :
Portier conducteur ? Porteur constructeur ?
Compagnie de Cordon ? Compagnie de Camion ?
Les échanges de mails à ce sujet prennent parfois un tour étonnant : une question sur l'intitulé exact des compagnies de cavaliers de remonte nous permet d'apprendre que la 1re compagnie de cavaliers de remonte, dont le rôle était de procéder à l’achat, l'élevage et la préparation militaire des chevaux, était installée... dans les bâtiments que la division des archives des victimes de conflits contemporains occupe aujourd'hui à Caen ! En effet, dans le quartier Lorge, l'ancien couvent de la Visitation, construit au XVIIe siècle, est aménagé à partir de 1792 pour devenir une enceinte militaire, agrandie au XIXe siècle pour accueillir le premier dépôt de remonte de France. C'est en 1992 que s'y installe finalement la division des archives des victimes des conflits contemporains.
Les réponses aux questions concernant la fonction et les noms précis des unités, quand elles peuvent être données, constituent un inventaire à la Prévert de régiments des plus variés : section des commis-ouvriers d'administration des troupes coloniales, bataillon indigène du Moyen-Congo, section mixte des infirmiers militaires d’Afrique Occidentale française, section des secrétaires d’état-major des troupes coloniales en Indochine, section des télégraphistes des troupes coloniales, bataillon d'infanterie de l'Emyrne à Madagascar etc. Cette liste, une fois vérifiée et complétée, deviendra une liste d'autorités qui pourra être utilisée pour l'indexation de tous nos outils (site, système archivistique, inventaires...).
Peu à peu, les fichiers arrivent de partout, de tous les départements du SHD et de tous les lieux de confinement. En assemblant les listes, les puzzles alphabétiques se mettent en place et complètent progressivement chaque sous-série. Le rythme ne faiblit pas : 7 000, puis 16 000, puis plus de 20 000 lignes sont saisies.
Les tableaux Excel ainsi constitués, dans lesquels chaque information est standardisée et saisie dans le champ correspondant, répondent aux normes en vigueur et permettront à terme le versement et l'échange de données.
AVANT :
APRES :
Une fois synthétisé et validé par les agents de la division responsable de ces fonds, cet immense travail permettra bientôt de proposer des ressources supplémentaires qui viendront enrichir le site Internet et faciliter les recherches des lecteurs et des archivistes.
Dernière modification le 06/05/2021